lundi 31 octobre 2011

Cesser la lutte avec son corps

Je reprends ce blog avec une interview de mon ami Jean-Chrisophe Seznec qui publie aux éditions PUF le psychoguide 'J'arrête de lutter avec mon corps'.

Bonjour Jean-Christophe, peux-tu nous parler des différentes formes que prennent la lutte avec son corps?

Beaucoup de personnes luttent contre elles-mêmes en prenant le corps pour l'instrument et le terrain de cette lutte. Comme cette bataille contre soi est impossible à gagner, il ne reste que de la souffrance.
Cette lutte prend différentes formes : Tout d'abord, nous pouvons le maltraiter à travers des comportements réactionnels dont le but est souvent de faire baisser le niveau de tension intérieure à travers notre comportement alimentaire (restriction, compulsion, régime, grignotage, etc.), la trichotillomanie, l'alcool, la cigarette ou toute autre forme d'addiction mais aussi par des comportements plus quotidiens comme se ronger les ongles ou secouer la jambe. Nous pouvons aussi tenter de le transformer par la chirurgie esthétique, les tatouages ou les piercing. Enfin, nous pouvons en jouer avec parfois le risque de jouer à des jeux dangereux à travers le sport, la sexualité, le travail, etc.

Que retrouve-t-on derrière cette lutte?

Derrière cette lutte, il y a la difficulté à accepter notre humanité. En effet, être un Être humain c'est être un Être émotionnel. Cet Être émotionnel s'éveille particulièrement à l'adolescence où nous sommes confrontés à un flux énergétique (émotionnel) qui habite notre corps et qui peut nous paraitre insupportable. Ne sachant pas quoi faire de cette nouvelle expérience et sans apprentissage de la gestion émotionnelle, nous pouvons être tenter de trouver des fausses bonnes solutions pour "purger" ce flux émotionnel à travers l'alimentation, la cigarette, etc.
Nous sommes, dans notre société, extrêmement libres mais extrêmement seuls. Nous sommes de plus en plus seul à apprendre à jouer de ce corps émotionnel à l'adolescence. Aussi, j'ai voulu que ce livre soit un psychoguide à l'intention des personnes qui souffrent mais aussi un guide pour tout adolescent ou jeune adulte qui souhaiterait apprendre à vivre en pouvant mieux observer et comprendre ce qui se passe en lui.
Tout récemment, lors d'un congrès de gynécologie, je disais au public que nous pourrions presque prescrire, en prévention, ce livre à toute jeune femme confrontée à ce flux émotionnel avant que la lutte ne se cristallise autour d'un symptôme et dans une spirale de consommation de soin.

Tu présentes trois grilles théoriques pour comprendre cette lutte avec son corps, quelles sont-elles?

A travers mon livre, je propose d'observer cette lutte à travers trois modèles psychothérapeutiques. Même si ma culture, ma formation et ma sensibilité est plutôt proche des thérapies comportementales et cognitives (et donc de l'ACT), j'ai souhaité m'enrichir dans ce livre d'autres regards. Tout d'abord, le modèle psychanalytique peut nous aider à comprendre le "Pourquoi" de cette lutte en revisitant notre construction de nous au cours des différentes étapes de la maturation du ventre de notre mère à maintenant. Or la première étape qui nous a permis d'apaiser les émotions générées par notre naissance est le stade oral. Or beaucoup de comportements de lutte passent par la bouche. Le modèle des thérapies comportementales permet de construire une résolution de problème dans l'ici et le maintenant. Cette grille répond à la question du "comment" en ce centrant sur les liens entre notre machine à penser, notre corps et nos émotions afin d'en fluidifier le dialogue. Enfin le modèle bouddhiste avec sa version laïque, la mindfulness, nous permet de développer notre observation de ce qui nous entoure et de ce qui est en nous afin de développer notre acceptation de ce statut d'humain.

Tu parles de thérapie par l'Action, quel est le lien avec l'ACT?

La thérapie par l'action est en lien direct avec l'ACT. En effet, au cours des formations que j'ai suivi sur l'ACT, je me suis rendu compte que, comme M. Jourdain, je faisais de l'ACT sans le savoir ! Mais ne voulant être ni dogmatique et ni me positionner en "spécialiste" de l'ACT , je préfère parler pour l'instant de thérapie par l'action car cela représente, par ce terme, ma façon de m'approprier l'ACT. De plus, en mettant en avant le terme "action", c'est une façon de le discriminer de nos comportements de réaction.
Il s'agit d'une attitude d'engagement de soi afin de se rapprocher de ce qui est important pour nous en acceptant ce statut d'être émotionnel afin d'apprendre à surfer sur les vagues de nos pensées et de nos émotions. Il s'agit d'une approche humble et pragmatique de ce que nous sommes. En effet, si nous gardons cette image que notre intériorité est constituée de vagues de pensées et d'émotions, nous avons toujours le choix entre passer du temps à tenter d'expliquer le pourquoi des vagues, mais au risque d'oublier de vivre, rester sur la plage et de passer à coté de la vie ou, en apprenant à surfer sur celles-ci en étant suffisamment curieux afin d'expérimenter ce fameux terrain de jeu qu'est ce corps émotionnel.

Tu proposes un modèle thérapeutique intégratif original, comment vois-tu les thérapies évoluer à l'avenir?

Il est de moins en moins facile d'utiliser qu'un seul modèle thérapeutique au risque d'être dogmatique et de proposer une relation trop contraignante au client.
En effet, je pense que ce n'est pas au client de s'adapter à la psychothérapie mais à la psychothérapie de s'adapter au client. Au fond tous les modèles psychothérapiques proposent une facette du même problème.
Il est nécessaire de ne pas rester emprisonné dans la catégorisation sémantique ou observationnelle que nous propose chaque modèle thérapeutique au risque de devenir borgne et perdre du relief. C'est un peu comme lorsque je regarde mon stylo, je peux dire qu'il rentre dans la catégorie bleu selon un modèle qui catégorise les couleurs, que c'est un objet de bureautique selon mon modèle utilitaire, que c'est le résultat du labeur de nombreux ouvriers ou de dire que c'est le fruit de l'évolution des techniques selon mon modèle historique. Tout cela est vrai, apprenons à surfer d'une perspective à l'autre comme nous apprenons à nos clients à surfer d'une vague à l'autre.
Je pense qu'il est intéressant de multiplier nos regards afin d'enrichir notre boite à outil afin d'accompagner nos clients vers ce qui est important pour lui. Le tout est de ne pas s'y perdre et de rester professionnel en évaluant régulièrement ses pratiques. En outre, je pense qu'un modèle thérapeutique n'est pas une vérité mais à de sens que si il facilite une démarche.
Benjamin Schoendorff